Sushil Sandep

Developeur Java & Grand Architecte Algorithmique de la Régulation Intelligente
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A vrai dire, je ne me souviens plus trop d'Alex. En revanche Camille ... Ah, Camille ! Là, les souvenirs sont nets. Très nets. Disons que certaines courbes ont laissé une empreinte durable dans mon cortex. Ceci dit, j'ai suffisamment vécu de réincarnations foireuses  pour savoir qu’on ne s’approche pas d’un T-Rex en talons aiguilles quand on en croise un. Je me contente donc d’admirer à distance. Derrière une vitre blindée. Si possible dans un bunker.  

Mais revenons à Alex. À l’époque, je télétravaillais pour huit employeurs en simultané. Tous déclarés, évidemment (je suis peut-être un escroc d’efficacité, mais pas un criminel). J’avais un peu fait comme la déesse Vishnu. Pas huit bras, non, mais huit contrats et huit bulletins de salaire. 

Franchement, c’était le bon vieux temps : deux ou trois visios par semaine, quelques hochements de tête, un ou deux “Tika, tika” bien placés pour donner le change, et hop, tout le monde était content. Personne ne se doutait de rien.  Enfin… presque personne. Il a fallu qu’un esprit tordu perce le mystère : Camille.

Je ne sais toujours pas comment elle a fait. Un flair, un instinct, une capacité surnaturelle à détecter les embrouilles derrière un partage d'écran. Ça m’a rappelé les vélociraptors dans Jurassic Park : ils ne viennent jamais là où on les attend, mais ils finissent toujours par vous sauter dessus.

Elle m’a coincé. D’un simple regard. Froid, clinique, précis. Le genre de regard qui te scanne le disque dur à travers la webcam. Pendant une demi-seconde, j’ai vu le T-1000 de Terminator, version tailleur blanc. J’ai commencé à réciter des mantras d’adieu à cette douce vie terrestre, et à Sumita, ma délicieuse épouse, que j’aimais presque autant que mes nans au fromage.

Mais, contre toute attente, je n’ai pas été désintégré. Elle s’est contentée de me menacer. Gentiment. Du bout des lèvres. Si je ne livrais pas à temps "le grand projet d’Alex" : bâtir une IA souveraine, éthique, solidaire, et probablement végétarienne. Au passage, la vraie langue internationale, ce n’est pas l’anglais, c’est le bullshit.

Bref. Ayant bien saisi que je jouais ma peau (et potentiellement mes vies futures), je me suis mis à bosser comme un forcené sur une technologie que je ne maîtrisais absolument pas. Résultat : j'ai effectivement pondu une IA, mais version Frankenstein 2.0. D'ailleurs, au début, elle s'exprimait exactement comme lui : en borborygmes totalement incompréhensibles. On aurait dit une otarie enrhumée tentant de réciter l'annuaire.

C'était si catastrophique que pour les premières démos, on a dû engager une boîte à Bangalore pour que des développeurs répondent à distance, en se faisant passer pour notre IA révolutionnaire. Seul hic : on avait oublié un détail crucial. Pendant la démo, les clients ont posé leurs questions en français. Et le français à Bangalore, c'est pas le langage informatique qu'ils maîtrisent le mieux.

Après la démo, Alex était comme un dingue, le moral dans les chaussettes. Camille, elle, essayait de le convaincre de me couler les pieds dans le béton avant de me balancer dans les eaux glacées du Drac. Elle avait même un copain maçon qui lui devait bien ça.

Mais Alex n'avait pas le cœur à l'homicide et il a eu une idée de génie. Pas du genre de ces génies qui vous sortent des solutions magiques de leur lampe, non. Plutôt de ceux qui feraient mieux d'y retourner dare-dare et d'y rester. L'idée lumineuse d'Alex ? Envelopper notre IA défaillante dans un "super-top-méga-génial" plan marketing.

À l'époque, je n'ai pas osé leur dire que leur idée était complètement foireuse. Pour commencer, j'étais bien content d'être encore en vie. Alors, j'ai fermé ma gueule, et quand j'ai vu Florian-Rémi débarquer avec sa dégaine de publicitaire en costard-cravate et ses trouvailles sorties tout droit d'une cocotte-minute, j'ai compris que ça n'allait pas le faire. Ce que j'ignorais à l'époque, c'est que ce Florian-Rémi allait couler la boîte.

Pour commencer, il était intimement persuadé de travailler pour une marque de liquide vaisselle. Tout fier de lui, il nous a proposé "Bidulon". Dans la bagarre qui a suivi, Alex lui a pété quelques dents, mais il n'a pas eu le temps de lui régler définitivement son compte : il était bien trop occupé à retenir Camille qui voulait l'achever. Bidulon ! Vous imaginez un nom plus catastrophique ?

Mais bon, il a fallu se faire une raison. Parce qu'en plus de cramer notre crédibilité, le Florian-Rémi avait aussi vidé les comptes en cours de route avec ses séminaires all inclusive à l'autre bout de la planète (le bout ou l'eau est bleue turquoise et où il fait toujours bon vivre). Du coup, on s'est retrouvés coincés avec Bidulon et, en plus d'être totalement incompétents, on était désormais ridicules.

Comment ça s'est terminé ? Vous me croirez jamais. Un soir, je suis sorti sur la pointe de pieds en prétextant aller récupérer une commande de tacos français. J'ai sauté dans un taxi direction l'aéroport le plus proche. J'ai pris un ticket pour "aussi loin que possible" et après quelques semaines je suis rentré à New-Delhi.


J'étais tellement dégoûté de l'expérience que j'ai carrément abandonné le développement informatique. Finito ! Je me suis lancé dans la restauration rapide, j'ai adapté le concept du Tacos français à la culture indienne.Bon, je dois admettre qu’il y a eu quelques malentendus culturels.  


Mes avocats s’emploient activement à les clarifier et avec un peu de chance, je serai libre d’ici un an ou deux. Trois si le juge goûte encore mes samoussas au foie gras.


Mais le plus absurde, c’est que j’ai reçu, l’autre jour, une fiche de paie signée d’Alex. Il croit toujours que je bosse dans la boite ! Et pourtant j'ai plus le droit de faire de visios. Dis Patoche, tu peux demander à Sumita de me faire parvenir des Gulab Jamun ? Et une lime à métaux, au cas où.